Chapitre X : De la Dame Blanche

Un message scellé et adressé à Mejaï arriva au palais de l'Ordre. Celui qui l'avait écrit disait en escarte savoir comment utiliser la lampe magique que détenait la Shiradim et lui donnait rendez-vous au sanctuaire d'Anat. A peine avait-elle fini de lire le parchemin que Mejaï fut instantanément transporter dans un autre lieux.
Alertés par le bref cri de surprise de Mejaï, ses compagnons se précipitèrent dans sa chambre et la trouvèrent vide, un rouleau de parchemin trônant au centre de la pièce. Après s'être préparés à toute éventualité, Jurgen, Nora et Giminos lurent le parchemin et furent à leur tour immédiatement téléportés.

Les Chevaliers se retrouvèrent sur un chemin de montagne où l'altitude et le vent les glacèrent jusqu'aux os. En analysant le paysage, ils réalisèrent rapidement qu'ils se trouvaient à plusieurs milliers de lieux de Jergath et même certainement au nord du royaume dorkarde.
Le chemin menait à une petite cabane qui à première vue semblait habitée bien que vide de tout occupant. Les Chevaliers décidèrent donc d'entrer et tombèrent presque nez à nez avec une jeune femme. Celle-ci était chaudement vêtue, couverte d'épaisse fourrures, elle portait un arc en bandoulière, deux sabres à la ceinture et arborait une épaisse chevelure si rousse qu'on aurait pu la dire rouge.

La jeune femme proposa de guider les Chevaliers jusqu'au sanctuaire d'Anat qui se trouvait à une journée de marche au nord de sa cabane. Elle fournit même bottes et fourrures à des Chevaliers plus habitués aux journées caniculaires de Kh'Saaba.
Elle les guida sur le sentier, monta le camp et avec Giminos, elle chassa un cerf pour leur repas. Le guerrier agalanthéen ne semblait d'ailleurs pas la laisser indifférente. Elle ne cessait de lui lancer des regards en coin et rougissait à chaque fois qu'il s'adressait à elle.
Tout le monde semblait s'en être aperçu à part le principal intéressé qui ne se serait rendu compte de rien si Nora ne lui avait pas mis la puce à l'oreille. Giminos et la jeune femme montèrent donc la garde ensemble en discutant des merveilles de Thérème.
Bien qu'il soit naïf par nature, Giminos tiqua sur certaines incohérences comme le fait que la jeune femme parle un agalanthéen parfait et connaisse la capitale de l'empire comme si elle y était née.
Quoi qu'il en soit, celle-ci les mena jusqu'au sanctuaire d'Anat. Ce dernier représentait une véritable anomalie dans ce paysage montagneux. De par son architecture et les inscriptions qui l'ornaient, celui-ci semblait venir tout droit de Kh'Saaba. La jeune femme ouvrit les portes du sanctuaire qui se résumait en une simple pièce avec pour seule décoration une statue d'Anat, la vierge guerrière.
Ce n'est qu'à ce moment que la jeune femme annonça aux Chevaliers qu'il y avait une dernière épreuve avant d'accéder aux secrets du sanctuaire. Se faisant elle commença a se dévêtir, se débarrassant de son arc et de ses fourrures. A demi-nue, elle ne conserva que sa longue jupe qui touchait le sol et ses deux sabres et tendant la main, elle pointa son arme vers Giminos dans un geste de défi.

Les Chevaliers furent impressionner par la déconcertante facilité avec laquelle le jeune femme mit Giminos hors de combat. Malgré la profonde entaille qui lui barrait le ventre, elle avait réussit à désarmer le myrmidon et à jouer avec son glaive comme à la parade avant de le lui rendre.
Après quoi elle demanda à Mejaï de lui remette la lampe pour qu'elle la fasse fonctionnement.
Mais les Chevaliers avaient des questions à lui poser. La jeune femme répondit franchement à chacune d'elles. Elle s'appelait Bertha que l'on surnommait Bertha la Blanche. Elle savait que Mejaï avait la lampe en sa possession parce que Hakim le lui avait dit. C'était elle qui leur avait fait parvenir le parchemin ensorcelé.
Lorsque Jurgen lui demanda d'où provenait cet ancien sceau sur le parchemin, Bertha annonça le plus simplement du monde qu'il s'agissait de sien puisqu'elle était la femme de Mandernick, le premier roi de Dorkardie. Cela signifiait donc que malgré son apparente jeunesse, Bertha avait vu passer plus de deux cents hivers.
Le guerrier dorkarde mit instinctivement un genoux à terre mais Bertha lui demanda de se relever car après tout elle n'était plus reine. Elle avait choisi de se retirer loin des hommes et de vivre dans ces montagnes reculées. Lorsque Jurgen osa lui demander comment elle avait pu vivre aussi longtemps, celle-ci lui répondit que la mort était pour les faibles. Ce à quoi le Dorkarde ne put que acquiescer.
Après quoi elle demanda de nouveau la lampe à Mejaï qui consentit à lui remettre. Bertha en retira le couvercle et remplit la lampe de son sang avant d'en allumer la mèche.
Une épaisse fumée rougeâtre envahit la pièce au point que les Chevaliers ne pouvaient plus voir à plus de quelques centimètres.

Lorsque la fumée se dissipa, Mejaï se trouvait dans une plaine herbeuse qui s'étendait à perte de vue. L'herbe sous ses pieds, l'humidité, l'odeur de terre, tout lui semblait parfaitement réelle. Où que se portait son regard, elle ne voyait rien à part de l'herbe et le ciel.
Aussi fut-elle surprise lorsqu'une douce voix lui demanda "Es-tu perdu ?". Une jeune femme vêtu d'une longue robe blanche vaporeuse et coiffée d'une tresse noire ornée de fils d'or se tenait juste derrière elle.
Mejaï hocha la tête, elle était perdu.
- Si tu es perdu, c'est que tu cherches quelque chose. Que cherches-tu ?
- Des réponses.
- Alors va, lui dit-elle en tendant le doigt. Tu y trouveras tes réponses.
Lorsque Mejaï tourna la tête dans la direction que lui désignait la jeune femme, elle découvrit une colline au loin alors que la jeune femme avait disparu.
Elle marcha et marcha encore pendant un temps qui lui paru interminable jusqu'à arriver au pied de la colline. Celle-ci était sombre et semblait faite d'écailles de pierre. Alors qu'elle s'approchait, la pierre bougea et un oeil immense, deux fois plus grand qu'elle, apparu.
La colline bougea doucement et une gigantesque tête de dragon se dessina. La bête se leva avec une lenteur géologique, déployant des ailes qui aurait pu recouvrir tout Jergath. Il se dressa alors devant Mejaï, tournant la tête et dardant son oeil sur elle.
Mille questions se pressèrent dans la tête de la Shiradim, qui était-il, pouvait-il les aider à vaincre les 7 Fils de Tiamat, les Chevaliers pouvaient-ils empêcher le retour de Tiamat ? Pouvait-elle d'ailleurs communiquer avec un dragon ? Comprendrait-il ce qu'elle dirait ?
Mejaï prit finalement son courage à deux mains et posa sa question. Le dragon la regarda fixement, sa pupille s'étrécissant, puis redressant la tête face à elle, il lui souffla dessus. Son souffle était si puissant que Mejaï eut l'impression d'être en pleine tempête, obligée de fermer les yeux alors que les larmes lui venaient.
Lorsqu'elle put finalement rouvrir les yeux, Mejaï était revenue au sanctuaire d'Anat.

Lorsque la fumée se dissipa, Jurgen se retrouva nu dans le lit de la princesse Malika à Jergath. Il était seul et partit donc à la recherche de la propriétaire dès lieux. Il avait appris à connaître les lieux et se rendit immédiatement dans le salon privé où la princesse avait l'habitude de recevoir ses proches.
Mais le coeur du Dorkarde eut un raté lorsqu'il aperçut la pièce complètement dévastée, les meubles renversés et les tentures déchirées. Il se mit immédiatement à fouiller la pièce et ne tarda pas à tomber sur le corps inanimé de la princesse. Son coeur se serra et il fut pris de vertiges lorsqu'il réalisa qu'elle était morte.
C'est alors que l'odeur de brûlé lui arriva jusqu'aux narines. Jurgen se précipita vers le balcon et contempla la ville en proie aux flammes. Jergath-la-Grande n'était plus qu'un immense brasier. Une douce voix s'adressa à lui.
- Voici ton avenir si vous ne l'empêchez pas.
Un homme se trouvait avec lui sur le balcon, torse nu, ses cheveux bouclés relevés par un bandeau. L'inconnu reprit.
- Tu as sous les yeux ce qui arrivera si vous n'empêchez pas le retour de Tiamat.
Lorsque Jurgen regarda à nouveau vers la ville, celle-ci était intacte, semblable à celle que les Chevaliers avaient quitté la veille.
- Comment pouvons nous empêcher le retour d'un dragon ?
- Il y'a des choses que vous devrez découvrir par vous-mêmes. Mais je peux néanmoins te conseiller de chercher l'étoile.
Jurgen sortit précipitamment du palais de Malika et parcourut la ville. Celle-ci était bien semblable en tout points à la capitale du royaume saabi si ce n'est qu'elle était parfaitement déserte. Pas une seule âme qui n'arpente ses rues. Pas une seule étoile qui n'éclaire la nuit tombante. A la grande bibliothèque de la cité, chacun des livres n'était que pages blanches encore et encore.
Déconcerté, le Dorkarde regagna le palais de la princesse où celle-ci l'attendait, bien vivante. Malika l'invita à la rejoindre dans le lit mais son esprit était encore en ébullition, trop de questions s'y bousculaient toujours.
Mais alors qu'il tournait les talons en quête de nouvelles réponses, il entendit de nouveau la voix de l'inconnu.
- Dors maintenant.
Ce n'était pas une question et Jurgen alla se coucher aux côtés de la princesse, oubliant momentanément tout ce qu'il venait d'apprendre, comme si rien d'autre n'avait d'importance et lorsqu'il se réveilla il était revenu au sanctuaire d'Anat.

Lorsque la fumée se dissipa, Giminos était allongé sur une banquette, entouré par de douces nymphes qui l'éventaient et le nourrissaient de fruits frais. On l'avait coiffé d'une couronne de lauriers. L'Agalanthéen en était certain, il était mort et se trouvait maintenant à l'Elyseum même s'il n'avait pas souvenir d'avoir traversé le Styx.
Nombre de ses parents étaient venus l'accueillir et chantaient ses exploits. Sa mère lui souriait et son père le serra dans ses bras. Giminos se laissa porté par la quiétude des enfers, discutant avec ses parents disparus depuis déjà des lustres, passant de l'un à l'autre pour les écouter lui raconter sa propre vie de héros.
Errant dans la pièce, l'Agalanthéen remarqua alors que celle-ci n'avait ni porte ni fenêtre. Certains détails semblaient s'estomper lorsqu'on ne les fixaient plus du regard. C'est alors qu'il aperçu une femme aux cheveux rouges qui lui souriait.
- Bertha ? Que faites-vous là ? Vous êtes mortes vous aussi ?
- Je te l'ai déjà dit, la mort est pour les faibles. Peut-être deviendras-tu toi aussi assez fort pour la vaincre.
- Mais... Nous sommes aux Champs Elysées... Cela signifie que je suis...
- Non, tu n'es pas encore mort, alors profites de l'instant.
Ils firent l'amour comme des enfants qui se découvrent pour la première fois. Ils étaient seuls dans la pièce où ne restait plus que la banquette sur laquelle ils s'enlaçaient.
Alors que Giminos sombrait dans un sommeil béat, Bertha se pencha vers son oreille et lui murmura,
- Il existe une prophétie, trouve la.
Mais lorsque le myrmidon se réveilla, il était de retour au sanctuaire d'Anat.

Lorsque la fumée se dissipa, Nora se trouvait dans une salle du temple d'Agushaya qu'elle avait fait bâtir à Jergath. Allongée sur de riches coussins de soie brodés d'or, dans une somptueuse robe rehaussée de pierres précieuses, elle se trouvait face à Hakim qui arborait son habituel sourire énigmatique.
Lorsqu'elle fut assise, celui-ci lui demanda:
- Que désirez vous ?
Prise de court par une question aussi directe, Nora prit quelques temps de réflexion avant de prendre son courage à deux main et de répondre avec un sourire mutin:
- Vous.
Le sourire de Hakim devint carnassier au point d'en devenir effrayant.
- Pauvre petite sourie insignifiante. Sais-tu au moins ce qui t'attends ? N'as-tu donc point conscience de mes pouvoirs et de ce que je pourrais faire de toi ?
Il claqua des doigts et en un instant il se retrouvèrent dans la rue. Nora ne portait plus que quelques vêtements minimalistes et transparents. Un collier de cuir lui serrait le cou que prolongeait une longue chaîne. Hakim la promenait en laisse quasiment nue dans une rue bondée de la capitale. Comme une esclave. Comme un simple animal de compagnie. Nora se retrouva presque tétanisée par ce qu'il était en train de lui faire vivre. Jamais elle n'avait été à ce point humiliée.
- Que désirez vous ?
Le cerveau de Nora tournait à plein régime et au fond d'elle même elle se doutait que quelque chose clochait. Le véritable Hakim n'avait jamais fait montre de tels pouvoirs, aussi répondit-elle:
- La vérité, qui êtes-vous ?
Ce fut cette fois au tour de Hakim de prendre un moment de réflexion, puis finalement dans un profond soupir, il claqua de nouveau des doigts.
En un battement de cils, ils étaient revenus au temple d'Agushaya, sauf que maintenant ce n'était plus Hakim qui se tenait face à Nora mais un puissant djinn à la peaux rouge sang.
- Quel est ton dernier voeu ?
Nora, qui avait retrouvé une toilette plus convenable et qui surtout n'était plus tenue en laisse, eut le sentiment d'avoir réussi une sorte d'épreuve. Mais il ne lui restait plus qu'un seul voeu et elle savait que le génie ferait tout pour retourner son souhait contre elle. Elle réfléchit longuement au point de faire perdre patience au djinn.
- QUEL EST TON DERNIER VOEU ?
- Je souhaite savoir précisément pourquoi certains des Sept Fils de Tiamat vont à l'encontre de leurs intérêts en nous aidant.
Le génie sembla satisfait de ce dernier voeu et répondit en souriant:
- Parce qu'ils ont réussi à se libérer partiellement de l'influence du dragon.
Puis son sourire s'effaça subitement. Alors qu'il agitait les mains et que la pièce se remplissait à nouveau d'une épaisse fumée rouge, ce dernier ajouta dans un souffle à peine audible:
- Vous qui pensez connaître le Maître des Voix, demandez vous quels sont ses véritables pouvoirs.
Lorsque la fumée se fut dissipée et que Nora retrouva finalement la vue, celle-ci se trouvait à nouveau au sanctuaire d'Anat en compagnie de Mejaï, Jurgen, Giminos et Bertha.

Les Chevaliers se remirent péniblement debout comme s'ils sortaient d'un rêve. Ils avaient d'ailleurs récupéré toutes leurs affaires et leurs vêtements comme si rien ne s'était passé.
Bertha était déjà en train de se rhabiller, emmitouflée dans ses fourrures et repassant son arc en bandoulière. Se retournant face aux Chevaliers, elle comprit immédiatement que ces derniers avaient encore une multitude de question à lui poser.
C'est Giminos qui ouvrit le bal:
Giminos : Qui êtes vous ?
Bertha : Je vous l'ai déjà dit, je suis Bertha. Bertha la Blanche.
Giminos : Mais vous êtes plus que cela...
Bertha : Oui. Je suis aussi Maîtresse des Lames, membre des Sept Fils de Tiamat.
Cette réponse fit planer un froid glacial parmi les Chevaliers, mais entre tous, c'était l'Agalanthéen qui était le plus perturbé.
Giminos : Mais pourquoi ? Comment ?
Bertha : Je ne peux malheureusement vous en dire plus. Je suis tenu par serment.
Jurgen : Laissez-moi deviner, la première règle du serment est "on ne parle pas du serment" ? ironisa Jurgen.
Bertha apprécia la remarque qu'elle accueillit d'un léger sourire.
Bertha : Fort et malin comme un vrai Dorkarde. Mon époux aurait été fier de vous.
Jurgen : Si je puis me permettre, Majesté, comment allons-nous rentrer à Jergath ?
Bertha : Ne vous inquiétez pas, je vais m'en occuper.
Ce fut à ce moment que le destin bascula.
Giminos : Viendriez-vous avez nous ?
Bertha rougit comme une écolière et baissa les yeux lorsqu'elle répondit:
Bertha : C'est une invitation ?
Giminos : Oui.
Bertha : Je vais y réfléchir.
Les regards de Jurgen et de Mejaï se croisèrent et c'est la Shiradim qui intervint la première, répondant à Bertha en langue escarte:
Mejaï : Vous ne pouvez malheureusement pas venir avec nous, votre Majesté car Giminos s'est déjà engagé à épouser une princesse de Jergath.
Pressentant ce qui allait suivre, Jurgen écarquilla les yeux et tendit la main vers le myrmidon. Mais il était trop tard. Déjà les yeux de Bertha avaient viré au noir tandis que sa main se crispait sur la garde de son épée. Celle-ci fut plus rapide que le Dorkarde et dans un mouvement ample et souple à peine visible à l'oeil nu, elle frappa Giminos au visage. Sa lame fendant le casque de l'Agalanthéen qui n'avait rien suivi de ce qui s'était dit. Elle lui alors laissa une profonde entaille qui lui parcourait le visage du front jusqu'à la lèvre. Enfin, dans un geste de rage elle sortit une tablette d'argile de sa sacoche et la jeta au sol.
Celle-ci se brisa en mille morceaux dans un éclat de lumière aveuglante et lorsque les Chevaliers retrouvèrent la vue, ils étaient de retour au palais de l'Ordre à Jergath.